Responsables d’une part significative des retards de paiement qui pénalisent les entreprises, les administrations publiques sont une catégorie à part en recouvrement de créances.

En effet, les causes amenant des impayés sont très différentes de celles de la plupart des entreprises privées. Il n’est pas question ici de solvabilité (du moins on l’espère) ou de tensions de trésorerie comme cela peut classiquement être le cas pour une PME : « je retarde le paiement de mes factures fournisseurs pour soulager ma trésorerie ». Dans ce cas, la contrainte amenant le retard est purement financière.

Pour les administrations publiques, les contraintes sont très différentes et ne sont pas forcément « meilleures » pour les fournisseurs. En effet, il peut être très difficile de se faire payer par ces clients dont on croit, à priori, que le paiement des factures ne posera pas de problème.
Le cas médiatisé en août dernier de l’entreprise « Cuivre et bois » subissant des impayés du Ministère de la Défense depuis plusieurs années jusqu’à la pousser quasiment à la cessation de paiement illustre les difficultés rencontrées.

Pourquoi les publics paient-ils en retard ?

Cela provient à la fois de la nature bureaucratique de ces organisations et à l’évolution qu’elles ont connues récemment. En effet, les établissements publics ont rationnalisé leur mode de traitement des factures ces dernières années avec pour objectif de réduire les coûts et augmenter l’efficience des processus d'achat.

De nouveaux systèmes d’informations ont été mis en place afin d’industrialiser le processus. Le projet le plus emblématique est « Chorus », gigantesque projet SAP de l’état à un milliard d'euros qui a connu bien des aléas dont ont souffert les fournisseurs des différents ministères.

La mise en place de ces systèmes automatise en partie le processus de gestion des factures. Oubliez l’image du comptable qui traite la facture et valide le paiement, c’est l’outil qui effectue une bonne partie du travail…sous réserve qu’il soit alimenté avec les bonnes informations et au bon moment.

C’est effectivement une petite aventure qu’attend votre facture une fois envoyée à votre acheteur public.

Premièrement, celle-ci devra être parfaite pour être enregistrée. Libellé correct, numéro de commande de l’acheteur clairement indiqué, référence contrat, cohérence avec la commande…etc. sont autant d’informations nécessaires sans lesquelles la facture sera rejetée.

Ensuite, il est nécessaire que les intervenants de l'établissement fassent bien leur travail, de la création de la commande dans le système jusqu’à la validation de la réception des marchandises, en passant par les processus de validation interne. Plusieurs personnes sont impliquées et ce ne sont pas nécessairement celles avec qui vous êtes en contact.
Etant donné que le système est automatisé, le paiement se fait automatiquement à la date d’échéance des factures dès lors que tout est en place.

Par contre, il suffit qu’une étape ne soit pas validée (par exemple, un oubli de confirmation de bonne réception dans le système, ou un document manquant), et la facture ne sera pas payée jusqu’à ce que l’action corrective soit effectuée.
Dans ce cas, toute la difficulté pour le fournisseur est d’obtenir l’information du pourquoi du blocage et le nom de la personne qui sera à même d’intervenir pour régler le problème.
Le volume très important de factures géré par ces administrations complique évidement la gestion des exceptions et de tout ce qui ne rentre pas dans le cadre défini par les processus établis, d’autant plus que l’automatisation est allée de pair avec des réductions d’effectifs.

Que faire pour se faire payer ?

Première conséquence pour le vendeur, il est essentiel de comprendre en amont de la vente le processus d’achat de l’administration. Comment est traitée une commande fournisseur ? Quelles sont les informations indispensables à faire figurer sur la facture ? Ou doit-elle être envoyée ? Qui contacter en cas de problème ?

C’est au vendeur de s’adapter au mode de fonctionnement de l’administration car cette dernière ne le fera pas. Sans cela, il risque fort de ne pas être payé et il ne saura pas pourquoi ni que faire.

Les organismes publics proposent souvent une charte fournisseur, document récapitulatif de l’ensemble des obligations du vendeur pour se faire payer.

Elle doit être comprise et appliquée, même si cela n’est pas toujours suffisant.

En effet, le paiement des factures dépend également des intervenants internes à l’administration. Par exemple, l’acheteur doit créer la commande dans le système et la faire valider. Ne vous contentez surtout pas d’une commande faîte par email sans référence officielle !

Une fois la livraison réalisée, celle-ci doit être réceptionnée dans le système qui effectue des contrôles de cohérence avec la commande. Là encore, il s’agit d’une intervention manuelle qui, si elle n’est pas réalisée, bloque tout règlement de la facture.

Autre raison (justifiée) de blocage, tout litige ayant pour cause un différentiel sur la quantité livrée ou sur le prix facturé devra être corrigé au plus vite par le fournisseur.

Face à cette réalité, des relances effectuées en aveugle (par exemple un courrier de relance envoyé à un ministère sans interlocuteur ciblé) seront totalement inefficaces.
Anticiper est la clé du succès. Les comptabilités fournisseurs rationalisées fonctionnent bien si tout est conforme. Elles sont beaucoup moins performantes pour gérer les exceptions et les dossiers litigieux. Il faut donc tout faire juste du premier coup !

Comment relancer efficacement un public ?

Le chargé de recouvrement a obligation d’acquérir une très bonne connaissance de l’organisation de l’administration et de ses processus pour obtenir des résultats. Son action est très différente de celle qu’il entreprendra avec une PME.

Il doit tout d’abord se muer en enquêteur afin de comprendre pourquoi la facture n’est pas payée. A quel stade est-elle bloquée dans le système et que manque-t-il pour la valider ? Ce travail d’investigation n’est pas simple car il faut trouver la personne qui sera à même de transmettre l’information.

Le service des réclamations fournisseurs permettra d’obtenir des informations en sachant qu’il faut parfois beaucoup de persévérance pour obtenir une réponse.

Une fois la cause du retard de paiement connue, il faut identifier la personne à même de la traiter et lui demander aimablement de le faire et procéder ainsi jusqu’à l’obtention du paiement (il peut y avoir plusieurs blocages successifs).
Un gestionnaire de compte client performant connait aussi bien l'organisation de l'administration publique qu'un employé de cette dernière, pour la simple raison que cette connaissance est indispensable pour obtenir des résultats.

Le recouvrement : l'art du relationnel client

Votre capacité à nouer des contacts avec des interlocuteurs clés à l’intérieur de l’organisation est déterminante. Ce sont elles qui faciliteront la résolution des blocages et solliciteront les bonnes personnes en interne. Il convient de choyer ces relations.

Face une organisation qui peut paraître bureaucrate et nébuleuse, l’énervement et le haussement de ton ne servent à rien. Pire, ils risquent d’être contre-productifs en vous mettant à dos des interlocuteurs clés qui pourraient vous aider par leur connaissance des processus et des personnes.
Il faut donc respecter et appliquer les règles imposées par l’administration puis enlever tous les grains de sable qui empêchent la mécanique de traitement des factures de se dérouler normalement.
Le talent du gestionnaire de recouvrement est essentiel pour comprendre le mode de fonctionnement et se créer des relations privilégiées avec des personnes pouvant vous aider.
N’oubliez pas qu’il n’y a pas de volonté de retarder les paiements fournisseurs mais simplement une complexité administrative parfois très frustrante.

En cas de retard de paiement, la Loi contraint l’établissement public à payer des intérêts moratoires et une indemnité forfaitaire de frais de recouvrement. L'état est censé payer automatiquement ces pénalités sans que le fournisseur les lui réclame (article 39 de la Loi n°2013-100 du 28 janvier 2013).

Conclusion

Le risque de retards de paiement pour raisons administratives fait partie des risques crédit au même titre que le risque d’insolvabilité du client ou le risque politique en cas de vente export. Il a le même effet : l'impayé.

Il est d’autant plus dangereux qu’il est souvent sous-estimé car le caractère public de l’acheteur rassure, à tort, sur le bon paiement des factures.

La prise en compte par le vendeur des contraintes qu'il impose permet de le limiter et de rompre le parallèle client public égale retards de paiement.
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Derniers commentaires
J.L.B.
Entièrement d'accord, je travaille beaucoup pour le TRESOR PUBLIC notamment et effectivement c'est un art parfois de comprendre la nature du blocage.....
J.
Je partage cette analyse. Pour avoir été confronté à des situations comparables, étant moi même collaborateur d'un établissement public, je tiens à confirmer l'absence de mauvaise volonté pour honorer les factures.

A noter, dans mon contexte de travail, que le traitement informatique nécessite de nombreuses étapes, autant que l'intervention de plusieurs acteurs à des stades différents (numérisation de la facture, ventilation de la facture au bon service, création d'engagement, rattachement de la facture à l'engagement, ventilation comptable pour se conformer aux lignes budgétaires, validation du montant et des travaux faits, validation hiérarchique, mise en paiement).

Concrètement une facture bien rédigée facilite aussi le travail (rappel de l'objet de la facture (marché publics de XXX sur le site XXX p.ex) mention du nom du contact et du service ayant commandée la prestation.

Des mesures qui sonnent comme une évidence, mais dans la pratique, on perd un temps fou à contacter plusieurs collègues pour savoir qui a commandé l'objet de la facture...juste pour pouvoir initier son traitement.